INTERVIEW

Entretien avec SE Dimitry KOURAKOV, Ambassadeur de la Fédération de Russie au Gabon.

Nos amis en Afrique peuvent compter sur nous dans tous les sens 

En prélude  au tout premier sommet Afrique -Russie qui va se tenir à Scotchi du 22 au 24 octobre 2019, l’ambassadeur de la Fédération de Russie au Gabon, S.E Dimitry KOURAKOV a accordé une interview exclusive au journal Coopération Internationale (CI). L’ambassadeur KOURAKOV parle de coopération bilatérale, d’immigration, de Moscou aux côtés des africains et de la Syrie dans une véritable lutte contre le terrorisme djihadiste, la confrontation USA -RUSSIE et la réalité conflictuelle du monde actuel.Entretien réalisé pour CI par le journaliste Brice NDONG.

CI : M.l’ambasseur , qu’est-ce qui vous a le plus marqué depuis que vous êtes au Gabon ?

J’ai déjà travaillé dans plusieurs pays africains mais je voudrais souligner la richesse de la biodiversité des espèces animales et végétales du Gabon. Après avoir visité toutes les provinces du pays y compris les huit parcs nationaux, ke peux vous assurer que cette biodiversité  de la nature est un atout non seulement pour attirer les touristes mais aussi pour stimuler la croissance du Gabon.

CI : Quelle appréciation faites -vous de la classe politique gabonaise ?

Le système politique du Gabon est assez mûr. Personne ne peut nier que le Gabon chemine sur la voie de la démocratie. Nous comprenons que chaque pays a son rythme pour développer la démocratie dont les formes dépendent de plusieurs facteurs historiques,  traditionnels, ect. C’est pourquoi la Russie respecte toujours le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des pays.Nous saluons les résultats des élections parlementaires qui vont contribuer à l’élargissement de la représentativité des forces politiques diverses au sein de l’Assemblée Nationale qui est la plateforme pour discuter pacifiquement des problèmes existants et d’y trouver des solutions.

CI: Quel état des lieux de la relation Russo-gabonaise après 45 ans?

La stabilité politique et la paix sont aussi des facteurs majeurs pour les partenaires étrangers afin d’investir sans crainte au Gabon

Je constate avec satisfaction que le coopération bilatérale se développe dans tous les domaines : politique, économique et culturelle. 2018 a été marquée par la rencontre  a Moscou des deux présidents, SEM Ali Bongo Ondimba et SEM Vladimir Poutine. Les résultats, j’en suis sûr vont donner de nouvelles impulsions à notre coopération tous azimuts. Aujourd’hui, on note la dynamique positive dans les échanges commerciaux entre la Russie et le Gabon même si leur volume reste encore trop modeste. Plusieurs sociétés russes ont manifesté leur intérêt de s’implanter au Gabon.Je salue aussi l’excellence du dialogue politique bilatérale qui se caractérise par une similarité des approches sur la plupart des questions régionales et internationales notamment en ce qui concerne le renforcement de la sécurité, de la paix et du développement de l’Afrique. Je peux également souligner un rôle particulier de la coopération culturelle qui se développe activement entre la Russie et le Gabon. En 2016. nous avons organisé à Libreville avec succès, une performance du ballet de Moscou ” La Classique” qui est devenue une grande première dans les pays de l’Afrique Centrale.En 2018, a l’occasion de la célébration de la Coupe du monde de football, l’ambassade de la fédération de Russie en coopération avec d’autres chancelleries intéressées, les autorités gabonaises et les sponsors a organisé un tournoi de football parmi les élèves des établissements scolaires publics de Libreville. Tous ensemble nous avons réussi à créer une fête sportive pour la jeunesse gabonaise. L’année passée, l’ambassade de Russie a également organisé trois expositions de peintres russes. Une partie de ces œuvres a été offerte comme un don à la République gabonaise pour élargir la collecte du futur musée des arts contemporains de Libreville.

CI: Quel bilan au niveau de la coopération universitaire si ancienne?

La coopération dans la sphère de l’éducation a une tendance positive. Chaque année, le gouvernement de Russie octroi aux citoyens gabonais des bourses d’études dans les établissements russes de l’enseignement supérieur et leur nombre augmente chaque année. Au total, pendant les décennies de notre coopération fructueuse, la Russie a formé plus de 450 spécialistes gabonais dans les domaines différents.

CI : Quelle a été votre contribution pour le Gabon au XIX ème Festival Mondial de la jeunesse et des étudiants organisé par la Russie en 2017?

Une importante délégation gabonaise de 21 personnes comprenant des jeunes musiciens, artistes, danseurs , ect sélectionnés par le ministère de la culture et quelques cadres ministériels a représenté le Gabon avec grand succès à ce festival. L’ambassade y a  travaillé étroitement avec le ministère de la jeunesse et des sports. En 2018, SEM Vladimir Poutine, Président de la Russie, a pris la décision de décerner à Mme Nicole Assélé, ministre de la jeunesse et des sports de l’époque, un diplôme et une médaille commémorative pour sa ” contribution à la préparation et à la tenue dudit festival”.

Brice Ndong et l’Ambassadeur KOURAKOV en échange à l’ambassade de Russie au Gabon ® Photo CI

CI: Quelle est la situation des familles Russo-gabonaise installées au Gabon?

Il est très  important de maintenir les liens entre la Fédération de Russie et les anciens étudiants gabonais en Russie. Comme je l’ai mentionné tout haut, nous avons formé plus de 450 spécialistes gabonais.  Ces gens-là forment des familles gabonaises  mixtes. Ils ont des enfants bilingues qui parlent russe et français. Chaque année, l’ambassade organise la Fête de nouvel an pour ces enfants car, je partage l’opinion qu’ils ne doivent pas oublier leur deuxième patrimoine même s’ils n’ont jamais été encore en Russie. En perspective, l’ambassade planifie d’organiser des projections des films russes en français ainsi qu’en russe pour les gabonais qui parlent russe.

CI: Vous êtes aussi ambassadeur auprès de la CEEAC ( Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale) . Quels sont les principaux chantiers que vous développez ?

Nous sommes prêts à examiner tout projet présentant un intérêt à la coopération mutuelle.

La Russie en Afrique

CI: De 2011 à 2013 vous avez été directeur adjoint du département de nouveaux défis et menaces du Ministère des affaires étrangères de Russie. Quels sont les nouveaux défis de la Russie en Afrique ?

Les relations entre la Russie et les pays africains ont une longue histoire notamment pendant la période soviétique où elles étaient étroites dans différents domaines. Aujourd’hui, après une longue absence ,  la Russie revient en Afrique en mettant le cap sur le rétablissement et le renforcement de sa présence. Au cours des dernières années, la coopération économique de la Russie avec les pays africains s’est développée de façon dynamique et couvre les secteurs énergétique et minier, sécuritaire, aéronautique et spatiale.

CI : Mais qu’en est -il de la présence des entreprises russes dans le continent ? 

Les opérateurs économiques russes travaillent étroitement sur plusieurs projets en Algérie, en Angola, en Egypte, en Ethiopie, au Ghana, au Gabon, en République du Congo, au Mozambique, au Nigeria,en Afrique du Sud et bien d’autres pays.Plusieurs milliers d’étudiants africains font leurs études en Russie même si leur nombre est moins important qu’à l’époque soviétique. Leur présence est significative dans les domaines de la médecine et de l’ingénierie.En plus , la Russie aide les pays africains à travers les plateformes multinationaux différents y compris les structures de l’organisation des Nations-Unies.Par exemple, les équipage russes de transport militaire d’hélicoptères et les pilotes, les ingénieurs et les techniciens participent activement aux opérations de maintien de la paix sur le continent africain ( Mali , Soudan.du sud, en RDC).Dans le but d’aider les pays africains les plus pauvres et endettés , la Russie, au cours de ces 15 dernières années, a annulé plus de 20 milliards de dollars de dette contractée par ces pays.

CI: Comment se prépare le prochain Sommet Russie-Afrique de Scotchi ?

En 2018, le premier Forum Social Russo-africain a eu lieu à Moscou. Il a réuni des représentants russes et africains du monde diplomatique, politique scientifique, des affaires, des médias et de la société civile. Cette rencontre, organisée dans le cadre de la promotion des relations Russo-africaines, notamment au niveau économique et commercial , prépare le terrain au premier Sommet Russie-Afrique qui devrait avoir lieu en octobre cette année. L’objectif de ce sommet est de créer une base permettant d’instaurer un dialogue de haut niveau entre la Russie et les pays africains dans le cadre des évènements d’affaires futurs. Ce sera un vecteur pour le développement de contacts économiques multilatéraux pour les prochaines décennies. 

CI: la Russie qui est une grande puissance mondiale est plus présente en Centrafrique. Les Français y voient une menace. Quels sont vos objectifs?

La coopération russe s’inscrit dans le cadre des efforts communs de la communauté internationale en vue de renforcer les forces nationales de la République Centrafricaine afin qu’elles parviennent à assumer toute la responsabilité du maintien de la sécurité et l’état de droit sur l’ensemble du territoire et enfin de compte de trouver les moyens pour terminer ce conflit armé interne qui déstabilise si longtemps la situation en Afrique centrale.Des armes et des spécialistes russes ont été envoyés en Centrafrique pendant la période la plus tendue de la crise militaire et politique afin d’aider les autorités locales à résoudre les problèmes liés à la réforme du secteur de sécurité et à augmenter les capacités des militaires centrafricains.La partie russe a fourni gratuitement avec approbation du Conseil de Sécurité de l’ONU une assistance militaire et technique a la demande des autorités centrafricaines. Actuellement, 175 formateurs russes , 170 civils et 5 militaires dont l’ONU a autorisé le déploiement se trouvent en République Centrafricaine. 

CI:  Au plan de la coopération bilatérale, les activités que la Russie mène sont-elles de nature à ramener la Paix et la stabilité de la RCA?

La Russie mène des activités visant à étudier les possibilités de mise en valeur mutuellement bénéfique des ressources naturelles de la RCA. En 2018, les licences pour les recherches géologiques minières ont été reçues et le travail a déjà commencé. Nous partons du fait que la réalisation de ces projets contribuera à stabiliser la situation économique dans la RCA , à développer l’infrastructure et servira de base pour attirer les investissements supplémentaires dans l’économie du pays. Nous espérons également que d’autres pays ne seront pas en concurrence. Nous assisterons également la RCA à trouver les voies de sortie de sa crise politique tout comme nous contribuerons à son développement économique.

CI: Le 14 juillet à Moscou, lors de la rencontre  entre les présidents Ali Bongo et Vladimir Poutine, il a été aussi question de la RCA. Comment la Russie voit -elle le règlement de ce conflit centrafricain ? 

Nous sommes convaincus que les négociations sont le seul moyen de règlement des conflits. C’est pourquoi en août 2018 à Khartoum ( Soudan) , une réunion des plus grands groupes armés de ” Antibalaka” et ” Seleka” a eu lieu . Ils se sont mis d’accord sur la création d’une Association centrafricaine, une plateforme commune pour la consultation et l’action en faveur d’une paix durable en RCA. La déclaration adoptée à l’issue de la réunion appelle les autorités du pays à entamer des travaux de réconciliation avec l’aide de la Russie, de l’UE , des Organisations régionales et internationales .  La Fédération de Russie, membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU et membre du Groupe international de soutien à la République centrafricaine entend poursuivre le processus de réconciliation nationale qui a commencé dans ce pays  en coordination avec les dirigeants de la République du Soudan, l’Union Africaine ainsi qu’avec l’ONU et le Conseil de Sécurité.Un nouveau cycle des pourparlers entre les autorités et les groupes armés centrafricains a commencé le 24 janvier à Khartoum sous l’égide de l’Union africaine. Nous attendons les résultats.

Le Franc CFA est une affaire intérieure des pays concernés

CI: Si les BRICS ( Chine , Russie, Brésil, Afrique du Sud, Inde ) veulent apporter de la croissance dans nos économies, il faut faire face à la question de la monnaie. Depuis un certain temps, des voies s’élèvent en Afrique pour réclamer la fin du FCFA. Quelle est la position de la Russie sur cette question ?

Pour la Russie , ce n’est pas une question importante. Le Naira ou toute autre monnaie, nous allons l’accepter. Maintenant, mon opinion personnelle est qu’une monnaie très forte aide dans le commerce avec l’Europe mais ça pose aussi beaucoup de problèmes aux économies nationales. Prenons l’exemple de la crise pétrolière. Le Nigeria a facilement surmonté cette crise parce qu’ils ont diminué le taux de change de leurs monnaie nationale, le Naira. Nous avons fait la même chose en Russie avec le Rouble russe. Ce qui n’était pas le cas pour les pays d’Afrique Centrale. J’aimerais dire que cette question est une affaire intérieure des pays de la zone FCFA. Chaque système a ses imperfections. Ce pendant, il faut être prudent en acceptant les changements.

CI: L’immigration est un sujet mondial. Comment la Russie apprécié cette question ?

Il faut bien comprendre que les migrations prennent des formes très diverses. Il y a des individus qui quittent leurs pays pour cause de guerres civiles ou de dangers environnementaux ou technologiques, entre autres. Mais l’émigration peut être également une décision personnelle prise pour un motif économique. Je peux comprendre les jeunes qui cherchent à s’installer à l’étranger pour trouver des meilleures conditions de vie , d’études, de travail ou de rémunération , quand bien même cette fuite des cerveaux provoque les effets néfastes sur le développement des pays d’origine qui manquent de spécialistes dans les domaines diverses de son économie. Même si les migrants transfèrent des fonds dans leurs pays d’origine, cela ne parvient pas à compenser les pertes occasionnées par leurs disparus. Alors, c’est crucial pour ces pays de créer des conditions internes favorables pour que les veuillent rester ou revenir dans leur pays.

CI: Selon vous , est-ce que les occidentaux apportent des réponses concrètes au problème de l’immigration ?

La situation de l’arrivée massive et, sans contrôle en Europe des réfugiés est une catastrophe humanitaire qui résulte d’une intervention irresponsable des pays occidentaux dans les affaires intérieures des États souverains afin de les déstabiliser et d’imposer un changement des régimes mal intentionnés dans la région du Moyens Orient et de l’Afrique du Nord. La tâche principale à ce jour est d’éliminer les causes profondes de la crise migratoire actuelle en particulier la réalisation d’un règlement pacifique en Syrie et en Libye. Il est tout aussi important pour les pays européens d’assumer leur responsabilité d’assister les pays d’origine des migrants dans leur développement socioéconomique et dans l’édification de l’état de droit. Les efforts conjoints sont cruciaux pour battre la migration clandestine qui en grande partie contribue à l’accroissement des tendances périlleuses en Europe. Aujourd’hui, on voit le renforcement de la xénophobie , du racisme et de l’extrémisme dans plusieurs pays européens. Il est également nécessaire de mettre en place des canaux supplémentaires de migration légale, d’assurer un contrôle adéquat des flux migratoires, de réprimer les actes criminels commis par les migrants et de mettre en place des mécanismes de réadmission. Tout doit être fait pour empêcher les terroristes de s’infiltrer dans les pays européens sous couverture des personnes qui ont vraiment besoin d’aide et de refuge.

Fin de l’interview entre le Journaliste Brice NDONG et L’Ambassadeur KOURAKOV.

Lire l’intégralité de cet entretien sur le lien : https://www.e-kiosque-sodipresse.com/fr/a-la-carte/mensuelle/cooperation-internationale/cooperation-international-12-04-2019.html