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Entretien avec M.Jean Marc SIMON, Ambassadeur, Haut Représentant de la République Française au Gabon

L’Ambassadeur Jean Marc SIMON, descendant de sa résidence pour l’interview © photo CI2008

Arrivée en fin de mission après cinq ans passées au Gabon ( 2003-2008), Jean Marc SIMON, Ambassadeur plénipotentiaire et Haut Représentant de la République Française au Gabon a accordé un entretien au journal Coopération Internationale. Dans cette interview, la dernière qu’il aura accordé à la presse gabonaise, le diplomate français fait le bilan global de sa mission et donne les perspectives de la relation franco-gabonaise.Jean Marc SIMON,le Temps des Adieux avec le Journaliste Brice NDONG dans les jardins privés de la résidence de France à Libreville.

M.Jean Marc SIMON et Brice NDONG se saluant avant l’interview © photo CI

Brice NDONG ( BN) : Monsieur l’Ambassadeur, après tant d’années passées au Gabon, pensez-vous que le temps était venu pour vous de partir ?

Jean Marc SIMON (JMS) : Je crois qu’un séjour de cinq années bien révolues est un séjour exceptionnellement long. Le moment est donc venu de se tourner vers d’autres horizons et de nouvelles actions.

BN : intéressons-nous maintenant à la relation franco-gabonaise. En évoluant au fil des années et au gré de ses intérêts, la France a-t-elle sur garder son amitié envers le Gabon ?

JMS : Ce qui m’a frappé au cours de toutes ces années, c’est que la relation d’amitié entre la France et le Gabon est quelque chose de réel et de solide. Il y a naturellement des ajustements qui sont nécessaires,qui tiennent à l’évolution du monde mais en dépit de tous ces changements inéluctables , la relation demeure forte et la proximité très grande.

BN : Mais si l’on prend le cas de l’immigration , pensez vous que l’accord sur l’immigration concertée entre le Gabon et la France était un impératif pour l’avenir de notre amitié ?

JMS : L’immigration est évidemment un sujet sensible. Je ne suis pas certain que ça soit le sujet le plus important dans notre relation qui est riche et diverse. Par ailleurs, le Gabon n’est pas un pays d’émigration comme vous le savez. Il ne se pose pas de problèmes à la France dans ce domaine. Je rappelle à cet égard que nous accordons près de 90% de Visas qui nous sont demandés. Néanmoins, je pense qu’il y avait beaucoup d’incompréhensions et qu’il fallait y mettre un terme. C’est la raison pour laquelle l’accord qui a été signé le 5 juillet dernier et qui vient d’entrer en vigueur, est important pour dissiper ces malentendus et partir sur de nouvelles bases beaucoup plus saines. Puisque nous sommes liés à d’autres pays européens par les accords de Schengen, nous ne pouvions pas purement et simplement supprimer le visa. Ce qui va se passer, c’est que les conditions d’admission des Gabonais qui veulent simplement voyager ou qui veulent travailler ou étudier en France seront grandement facilitées par ces accords.

BN : Dans ces conditions, comment avez-vous vécu les évènements qui ont suivi expulsion de deux étudiants gabonais en mars dernier ?

JMS: J’ai évidemment déploré ces événements qui étaient tristes. Il est toujours douloureux de voir des ressortissants d’un pays ami expulsés mais il y a des règles et ces règles s’appliquent à tout le monde.Ce que j’observe, c’est que cette crise passagère a été bien traitée de part et d’autre et, que l’une des étudiantes qui avait été expulsée a pu être autorisée à retourner passer ses examens en France et qu’elle les a d’ailleurs réussis. Je crois que cela ne devrait laisser aucune trace.

BN: Alors comment réagissiez-vous à chaque fois que le gouvernement vous convoquait dans un moment de tension comme ce fut le cas avec ces expulsions?

JMS : Vous savez, dans la relation quotidienne entre deux pays, il y a forcément des moments difficiles et plus la relation est forte et étroite, plus c’est le cas. C’est évidemment la tâche de l’ambassadeur de s’efforcer de résoudre ces difficultés lorsqu’elles apparaissent. Cela fait partie du métier que d’être convoqué parfois pour s’entendre dire des choses qui ne sont pas forcément agréables. On le fait avec respect pour ses interlocuteurs en s’efforçant de comprendre leur position et de leur présenter le mieux possible celle de la France.

BN : Craignez-vous l’émergence d’un sentiment anti-français au Gabon ?

JMS : Écoutez, au cours de ces cinq années, j’ai jamais vraiment été confronté à une manifestation de sentiment anti-français au Gabon. Il y a parfois des malentendus mais dans l’ensemble les français sont bien accueillis chaleureusement au Gabon et il y a une grande intimité entre nos deux peuples. Les Gabonais n’éprouvent aucun problème en France où ils sont aussi bien accueillis de leur côté. Donc, je crois que le sentiment anti-français ne peut pas être quelque chose de sérieux.

BN : Au cours de vos échanges avec le Président Omar Bongo, avez vous eu l’occasion d’évoquer le quotidien difficile des Gabonais ?

JMS: Mes rencontres avec le Président Omar Bongo touchaient des sujets très divers qui concernaient aussi bien le Gabon, la France, la relation Franco gabonaise ou les crises en Afrique. Il est certain que le quotidien des Gabonais a souvent été au coeur de ces entretiens. Le Président a un très grand souci de l’amélioration du bien être de ses concitoyens et il attend pour cela un appui de ses amis et de ses partenaires étrangers. Le Président est par ailleurs un très grand connaisseur de la vie politique française dont il connaît les acteurs depuis lus de quarante ans. Cela donne aussi des sujets de conversation.

Jean Marc SIMON et Brice NDONG Au cours de l’interview dans les jardins de la résidence de France © photo CI

BN : Quels ont été vos rapports avec les médias gabonais durant votre séjour?

JMS : J’ai toujours eu plaisir à rencontrer la presse gabonaise. Je l’ai fait à de multiples reprises à chaque fois que c’était nécessaire. J’ai toujours reçu dans les rédactions ou sur les plateaux de télévision le meilleur accueil et je saisis cette occasion pour saluer cette presse qui est dynamique et qui le paraît aujourd’hui de bonne qualité.

BN : Passons à la politique.Selon vous , la françafrique a -a-t-elle encore de beaux jours devant elle?

JMS : Il faut d’abord s’entendre sur ce que l’on veut dire par Françafrique. Si la Françafrique désigne la rencontre entre la France et l’Afrique, il est évident que nous sommes tous pour la Françafrique. Le Président Sarkozy s’est d’ailleurs prononcé récemment à ce sujet lors de la dernière conférence des Ambassadeurs.Il a ainsi rappelé que ” c’est l’honneur de la France que d’avoir su accompagner à leur demande ces nouveaux États avec une aide massive et multiforme. La France est fidèle en amitié. Elle assume sans complexe les liens que l’histoire a tissés . Je n’ai pas de problème avec la Françafrique” , nous a-t-il dit.Il y a des relations nouvelles entre la France et ses partenaires africains qui ont beaucoup évolué depuis les indépendances et en particulier depuis une quinzaine d’années. La Françafrique telle qu’elle est aujourd’hui de décriée par certains, avec une connotation péjorative n’existe plus depuis longtemps.

BN : Comment avez-vous interprété le discours bilan et historique du Président Bongo le 1er décembre dernier ?

JMS : C’est en effet un grand discours, on pourrait dire une discours fondateur. Je crois que le chef de l’État a mis l’accent sur un certain nombre de réalités et de corrections qui doivent être apportées au fonctionnement de la jeune démocratie gabonaise. C’est bien dans le style du Président Bongo qui a toujours été lucide, réaliste, qui a toujours su reconnaître les travers de son pays et de ses concitoyens s’employant depuis 40 ans de les corriger.

BN : Quelle est votre vision de la lutte contre la pauvreté au Gabon ?

JMS : Écoutez, j’ai observé depuis mon arrivée ici que des efforts réels étaient entrepris pour améliorer la gouvernance du Gabon. L’accord avec le FMI et les différents clubs de Libreville en sont la meilleure preuve. L’adoption par le Gabon d’un document stratégique de réduction de la pauvreté est une autre manifestation de cette volonté. Je crois aussi que tout ce qui est entrepris pour lutter contre la corruption, l’enrichissement illicite, l’adhésion à l’initiative EITI, tout cela va dans le bon sens. Seulement, il y a en Afrique une pauvreté endémique et le Gabon n’y échappe pas malgré les ressources dont il peut disposer.

BN : Vous avez le sentiment que le Gabon veut vraiment lutter contre la pauvreté quand on voit le train de vie de l’État ?

JMS : C’est ce que je viens de vous dire. Pour lutter contre la pauvreté, il faut que toutes les volontés se rassemblent. Celle des autorités, celle du gouvernement, celle des amis partenaires, celle des populations et de toutes les institutions ou organisations qui les représentent./

BN : Restons dans le volet économique. Le Gabon a choisi de diversifier son économie pour échapper au risque d’une trop forte dépendance vis-à-vis des ressources pétrolières. Ce choix a-t-il été un coup dure pour les entreprises françaises qui ont longtemps gardé le monopole dans des secteurs comme le bois, le pétrole et les mines?

JMS : J’ai toujours été très clair sur ce sujet. Il n’y a pas de marché captif ni aucun monopole ou d’aucune chasse gardée. Nous sommes dans un monde global où la concurrence doit jouer pleinement. Ce sont les meilleurs qui remportent les marchés. Quand ce sont les entreprises françaises, je m’en réjouis. Par ailleurs, il faut s’en féliciter aussi car, c’est pour le développement du Gabon et le bien du peuple gabonais.

BN : L’absence d’entreprises françaises dans l’octroi de grands marchés publics ces cinq dernières années au Gabon serait -t-il le signe du retrait de la France ?

JMS : On ne peut pas dire que la France se retire du Gabon. D’abord parce qu’elle y demeure très présente et très active que ce soit à travers les acteurs publics ou privés. Il y a près de 120 entreprises françaises qui sont présentes au Gabon. Certaines depuis fort longtemps. Comme vous le savez, nous avons fêté ces derniers mois le 40 ème, le 60eme ou le 80 ème anniversaire de telle ou telle entreprise. La plupart des grandes entreprises françaises opèrent ici au Gabon. Donc, on ne peut pas dire, loin de là, qu’elles se retirent. Elles y entretiennent un stock d’investissement considérable de 700 millions de dollars qui est le deuxième en Afrique subsaharienne après le Nigeria.

BN : Puisque vous parler des acteurs. l’Agence Française de Développement ( AFD ) devenue le levier de l’Aide Publique au Développement après la fin du ministère de la coopération est-elle.appropriée pour accompagner les efforts du Gabon dans sa politique de diversification ?

JMS : l’AFD qui est comme son nom l’indique une agence de développement est une institution parfaitement adaptée pour accompagner les efforts du Gabon dans sa politique de développement qu’il a choisie. L’AFD agit de manière souple, elle agit ici au Gabon qui un pays à revenu intermédiaire, au moyen de prêts qui ont toujours une part de dons ou d’éléments concessionnels. Avec sa filiale PROPARCO qui a été constituée pour aider le secteur privé, je crois que nous avons tous les guichets et tous les leviers possibles pour accompagner le développement du Gabon.

BN : Le manque de route au Gabon est décrié par les populations qui mettent en cause les gouvernants mais aussi entreprises françaises qui ont bénéficié des grands marchés routiers ces 40 ans dernières années Bongo. Pensez vous que ces reproches sont justifiés ?

JMS : Il faut se garder des mauvais procès. Les entreprises répondent au appels d’offre et respectent les cahiers des charges. Si elles ne le faisaient pas, cela se saurait. Cependant, il y a non seulement la construction des routes mais il y a aussi l’entretien et peut-être les contrats devraient -ils être assortis des dispositions permettant leur entretien pour un certain nombre d’années. Nous vivons sous un climat qui est extrêmement difficile et qui demande peut être plus qu’ailleurs un entretien particulier. Tout cela a déjà été évoqué et à plusieurs reprises dans le cadre du Fonds d’Entretien Routier ( FER). Je crois que c’est là et dans la bonne utilisation de ce Fonds que se situent les réponses.

BN : Pour conclure notre entretien, quel avenir pour la relation bilatérale entre le Gabon et la France au moment où vous quittez notre pays ?

JMS: Je crois que la France et le Gabon ont encore de belles années devant eux à la fois sur le plan politique qu’économique. Nous avons beaucoup d’estime et d’administration pour ce qu’a fait et continue de faire le Président Omar Bongo. D’abord pour la stabilité du pays , ensuite pour son rôle de sage dans la région et au delà. Il est pour nous un interlocuteur privilégié. Sur le plan économique, comme je l’ai rappelé, la plupart de nos entreprises sont présentes ici. Elles doivent certainement faire preuve de dynamisme pour faire face aux nouvelles concurrences dans les années qui viennent. Mais je pense qu’il y a encore de beaux marchés en perspective pour elles. De même, la France continuera a-t-elle longtemps , ne serait -ce qu’à cause de la Francophonie de former les élites de ce pays, d’apporter une aide multiforme à son développement et à son progrès.

Propos recueillis par Brice NDONG et publiés dans le journal CI N°3 de Décembre 2008.

Après le Gabon, M.Jean Marc SIMON a été nommé Chef de mission diplomatique française en côte d’ivoire de 2009 et 2012. Il va notamment avoir la lourde tâche de gérer la crise post électorale ivoirienne qui a abouti à la destitution du Président Laurent Gbagbo.

voir biographie de l’ambassadeur Jean Marc SIMON sur ce lien : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Jean-Marc_Simon