OPINION

Gabon : La question de la vacance du pouvoir est pertinente sur le dialogue annoncé.

Par Brice NDONG , Journaliste Directeur de Publication de CI.(Publié en 2019)

je crains que le Président ne parvienne à la situation où il faut continuer à vivre pour gouverner

Il y a quelques semaines, avant de quitter définitivement le Gabon , l’Ambassadeur de l’Union Européenne a accordé un entretien exclusif à notre journal “Coopération Internationale”. Dans cet interview , M. Helmut Kulitz rompt le silence en demandant au Gouvernement gabonais de revenir à la table du Dialogue Politique Intensifié qu’il a suspendu depuis 18 mois.

La situation actuelle ne sert à personne

, a-t-il dit. Des déclarations suffisamment importantes qui méritent notre attention.

A mon avis , cette sortie plutôt inattendue du diplomate européen nous offre des indicateurs et ouvre la voie à plusieurs réflexions, mais j’en retiens deux :

Primo: il y aura nécessairement un troisième Dialogue politique au Gabon, quelque soit la forme après le Dialogue National pour l’Alternance(DNPA) convoqué par l’Opposant Jean PING en décembre 2016, et celui dit ” Politique et Inclusif ” organisé le 18 avril 2017 à Agondje par le parti au pouvoir.

Secundo: l’Union Européenne reconnait que le Gabon est en crise, d’où la nécessité du Dialogue. Malgré le fait que le gouvernement ait toujours eu une position négationniste sur cette question, en rassurant qu’il tenait la barque, on voit bien que ce n’est pas le cas depuis plus de huit (8) mois. Aujourd’hui, bien au contraire, la situation s’enlise.

Le régime semble surtout préoccupé par la volonté de se maintenir au pouvoir

Rappelons le péché originel ! Nous l’avons vu, Ali Bongo est arrivé au pouvoir à la hussarde : un peu par effraction, parce que tout le monde connait les circonstances de la présidentielle de 2016. Mais il a gagné…et son élection a conduit le Gabon dans une crise politique profonde. Cette crise a pris un autre virage depuis que le Président a subi un AVC le 24 octobre 2018 à Riyad en Arabie Saoudite.

N’ayant visiblement pas de plan de sortie de crise après avoir misé sur la décapitation de l’Opposition, le régime semble surtout préoccupé par la volonté de se maintenir au pouvoir, à la faveur de règlements de comptes internes aux divers clans du pouvoir.En six mois, le gouvernement de Julien Nkoghe Bekale a été remanié quatre (4) fois. Celui de son prédécesseur l’avait été cinq (5) fois entre 2016 et 2018 en laissant plusieurs interrogations sur le bilan de leur gestion du pays. Et, On voit bien qu’avec cette nouvelle équipe de 29 membres, ils ne veulent pas créer de nouvelles figures.

Cette sortie de l’Union Européenne sonnerait comme un rappel au débat de fond qui pourrait susciter des levées de bouclier. Mais il faudrait savoir que sur les questions purement politiques, la position de l’UE engage tous ses Etats membres. Les pays comme la France qui ont des liens historiques et très étroits avec le Gabon, ne peuvent pas directement se prononcer pour éviter la question de l’ingérence.

Autre fait très important à souligner concernant la crise post-électorale gabonaise: Le compte à rebours qui est au Parlement européen n’a pas été épuisé. D’autres nouveaux députés européens sont arrivés. Cela ne veut pas dire que la crise gabonaise est résolue. Ils vont aussi plancher sur ce problème. Donc la menace de l’UE sur le Gabon est toujours pendante, permanente, allais-je dire.

Aussi, Suis-je certain que si d’ici le mois d’août prochain, la situation du Gabon demeure inchangée, il ne faudrait pas s’étonner de voir une sortie des Etats-Unies et des Nations –Unies pour demander la reprise du Dialogue politique et, la boucle sera bouclée.

Alors , un dialogue pour quoi faire ?

Retenons que le Communauté internationale est d’abord chez nous pour la prévention des conflits. Ce sont avant tout des observateurs de la vie publique gabonaise. Ces observateurs ont un rappel des faits qui se sont déroulés depuis la présidentielle de 2016. C’est ce rappel de plusieurs faits qui les amène à comprendre que la situation du Gabon n’est pas stabilisée. Notre situation politique est dans une impasse. Il faut avoir le courage de le reconnaitre.

Quel est le contenu du Dialogue ?

Je crains que le Président ne parvienne à la situation où il faut continuer à vivre pour gouverner

L’Etat de santé du Président a complètement changé la donne politique. Inévitablement, on ne peut pas dire que le Président est mort. Tout comme on ne peut affirmer qu’il est à 100% de ses capacités, mais il est sorti de la zone d’ombre. Tant mieux ! En revanche, je crains que le Président ne parvienne à la situation où il faut continuer à vivre pour gouverner. Le Chef de l’Etat a besoin de se reposer. Ce sont d’autres personnes qui doivent maintenant poursuivre les voies qu’il aura tracées.

Et, les arguments que Barro Chambrier donne dans le journal la Loupe, me semblent crédibles sur la santé du Président : Va-t-on continuer avec un « Président immobile ? ». Jusqu’à ce jour, le Président n’a pas pu tenir une seule conférence de presse avec les journalistes ni avec ses homologues venus lui rendre visite à Libreville. On dirait une sorte de théâtre politique qui, en générale, ne dure pas et, ça ne va pas durer.

Visiblement, nous sommes à l’orée de bouleversements politiques insoupçonnés. Ceux qui nous gouvernent paraissent secoués. Il y a ce sentiment d’une urgence à agir en profondeur avec cette conscience qu’ils peuvent éviter la vacance du pouvoir pour achever le mandat actuel.

Or, à mon sens, la question de la vacance du pouvoir est l’épicentre du dialogue politique annoncé. On ne peut pas l’éluder à moins que les avènements avenir ne me contredisent. Dès qu’on extirpe cette question, d’autres noeuds existent: Le Code électoral, la Cour Constitutionnelle, le CGE(le Centre Gabonais des Elections), la proclamation des élections, etc. Ce sont des questions qui doivent être bien préparées pour qu’on ne retombe sur les vieux démons de 2016.

Je chute en disant que la diplomatie doit continuer pour éviter une situation dramatique à notre pays car, jours après jours, la violence et la haine prennent des proportions très inquiétantes. Nous courons le risque d’une explosion sociale si rien n’est fait. Actuellement, une simple dispute entre automobilistes peut enflammer le pays. Il y a trop de désordre dans notre pays. On ne sait plus qui est qui et qui fait quoi. Ceux qui nous dirigent doivent prendre la mesure de la gravité de la situation et convoquer rapidement ce troisième dialogue en mettant toutes les conditions nécessaires à son déroulement.


Cet éditorial été publié dans le Hors Série N°1 Juin-Juillet 2019 du Journal Coopération Internationale en pleine crise post électorale gabonais de 2016 et un an après l’AVC du Président Ali Bongo Ondimba.